Chérir et protéger nos enfants induirait des personnes narcissiques, individualistes et incapables de se sacrifier pour l’intérêt collectif; avec comme conséquence de mettre en péril nos démocraties.
Nos démocraties sont bâties sur un contrat social mais en aucun cas sur une notion de sacrifice. Le contrat social - fondateur de nos démocraties- implique que je renonce à une partie de mes libertés au nom d’une protection collective, une sécurité à laquelle je n’aurais pas accès si j’étais restée entièrement libre mais isolé. C’est un échange “win- win”: faire société parce que c’est plus avantageux pour tous. La notion de sacrifice nait du déséquilibre de ce contrat. La propagande, du type à mener des générations sur les champs de guerre ou au terrorisme, en a fait son fond de commerce: je perds beaucoup trop (la vie par exemple) à défendre un collectif (hypothétiquement protecteur).
En filigrane, l’idée d’exiger des enfants la notion de sacrifice invite à réfléchir à ce que notre société implique déjà de sacrifices, chez nos enfants. Charlotte, 4 mois, à la crèche de 6h à 18h. Ethan, 6 ans, à l’école, et son cortège de garderies et de parascolaires, de 7h à 18h30. Mila, 8 ans, gardée par une armée de babysitters et nannies, pendant que ses parents font des gardes de nuit. A quels sacrifices font-ils face? Qui se souvient de ce que ça représente à 4 mois, 6 ou 8 ans, de ne pas voir ses parents plus que deux fois une heure chaque jour?
Ce sont ces enfants que je reçois à mon cabinet, pétris de doutes, d’insomnies, de peurs, d’anxiété, de tristesse, de colère. Ils ont parfois déjà un corps de “petit vieux”. Regardez-les, ces enfants: des petits bouts qui montent sur la table de massage avec un marche-pieds.
Ce sont eux, nos enfants, chéris et protégés, nos enfants prétendument rois. Pensez-vous vraiment qu’ils mettent en péril nos démocraties?
Ne serait-ce pas plutôt ceux - nous, les adultes - qui ont construit un monde où nos enfants sont devenus un problème à gérer, les responsables? Bien entendu, le premier réflexe que nous avons, nous, adultes, c’est de dire que nous aussi, nous souffrons. Nous aussi, nous nous sacrifions. “Je bosse jour et nuit pour toi”... Mais pourquoi, en fait? Payer un stage parce qu’on doit les occuper pendant qu’on bosse? Acheter une voiture pour les conduire à l’école car on n’a plus le temps de faire cent mètres le nez au vent? Rémunérer un psy, une kinésiologue voire même un chien (ou un raton-laveur) pour s’occuper des problèmes créés ainsi par cette perte de connexion? Pourquoi acceptons-nous de nous sacrifier? Pourquoi acceptons-nous d’être des parents nerveux, stressés, complètement incapables, en fait, de vivre deux petites heures par jour avec nos enfants, en pleine attention bienveillante? Ce qu’est devenue notre démocratie, notre société, ne nous met-elle pas en péril?
Regardez ces enfants, vos enfants.
Quelle sécurité leur offrons-nous encore?
Quel est le sens d’un contrat social où les parents courent en tous sens, épuisés, fragilisés par une crise économique après une crise sanitaire? Des parents pour la plupart malades: sous anti-dépresseurs ou somnifères, en burn-out ou dépression, avec des problèmes d’alcool… Toutes ces “petites choses” devenues aujourd’hui quasiment anodines tant elles sont répandues. Des parents intelligents qui comprennent qu’on les fait tourner fous dans une roue de Hamster, sans même au moins la douceur d’une utopie. Des parents profondément inquiets, qui voient bien que le monde part en vrille et que, pris dans ce contrat social- là, personne n’a de solution, que ce soit pour la pollution, l’énergie, l’alimentaire, la santé. Des parents pris dans l’ambre.
Regardez ces enfants.
S’ils ont 11 ans comme les miens, ils connaissent mieux la géopolique de l’Est que leurs tables de multiplication. Ils seraient soi-disant anxieux parce que surprotégés par leur casque de vélo. Pas du tout par la perspective d’un monde qui s’écroule parce que l’on continue à chanter musette sur le Titanic qu’est notre Planète. Pas du tout parce qu’on leur crie dessus au moindre papier tombé par terre ou à la moindre ampoule allumée inutilement - tout en commandant des trucs sur Amazone ou des vacances via Ryanair. Non, bien entendu. Ils sont probablement peu doués de raison, peut-être n’ont-ils même pas une âme - ou une demie, alors, comme les femmes autrefois... Voilà. Bienvenue au 21è siècle, succédanée d’un monde archaïque, où l’on construisait le détachement de nos enfants parce que nous étions incapables de leur assurer, pour la plupart d’entre eux, une protection suffisante pour les mener à l’âge adulte.
En thérapie énergétique, on croit que des personnes sont suffisamment fortes - en fait menacées au plus profond de leur instinct de survie - pour se sauver, guérir tous les maux accumulés par leur famille. Si j’ai une conviction profonde, c’est que la génération qui pousse en est là. Elle a cette lucidité que rien ne va et cette capacité à tout envoyer promener, se délier des croyances, des “il faut”, des “c’est comme ça”, des “moi à ton âge” et autres “tu verras quand tu auras quarante ans”.
Elle peut, elle veut, construire autre chose. Elle n’y arrivera cependant qu’à la condition de pouvoir réellement se réaliser, être pleinement elle-même et sortir des chemins tout tracés qui mènent à se frapper la tête contre les murs. Elle n’y arrivera qu’en faisant alliance avec les adultes actuels au nom d’une seule chose: “laissez-nous essayer de vous sauver”. C’est à ce titre que nos enfants doivent être chéris et protégés: ils sont les seuls à pouvoir penser le (nouveau) contrat social dont nous avons besoin urgemment. C’est leur vision du monde, leur refus d’être épuisés avant l’âge, leur volonté de faire autrement, en pleine congruence, qui nous permettra de sortir de la roue de Hamster.
Si nous les sacrifions au nom du maintien d’un contrat social qui n’a plus aucun sens, nous aurons perdu au final et nos enfants, et nos démocraties. Alors, de grâce, la prochaine fois qu’un enfant fait un “caprice”, arrêtez-vous. Rappelez-vous le jour de sa naissance, quand vous avez pensé qu’il était l’être plus précieux dans votre vie. Prenez votre courage à deux mains: écoutez ce qu’il vous crie, voyez comme ça résonne en vous, et osez faire partie de ceux qui affrontent leurs peurs et ne se sacrifieront plus jamais.
Ouvrez à vos enfants une voie: celle que vous auriez voulu que l’on ouvre pour vous.
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