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Photo du rédacteurLéa Evey

Le pied de la vie

Un texte de Marc Chambeau


Sortir sur le perron de la maison. Sentir le froid piquant qui s’attaque au visage. Admirer le mur blanc de la maison d’en face qui scintille sous le soleil. Et ressentir malgré tout cette atmosphère lourde, lourde… La rue n’est habituellement pas très fréquentée, mais là… toutes les portes fermées, pas un passage… ni d’une voiture, ni d’un vélo, ni d’un piéton…Un regard sur les trois maisons sur la gauche… Trois solitaires plus âgés… qui aiment habituellement profiter de l’ambiance plus animée de la rue… Mais aujourd’hui rien. Et l’une ou l’autre heure plus tard, toujours rien…

Le couple discute dans la maison. De cette atmosphère. De ces solitudes. De la logique du confinement, mais aussi de son injustice et de sa violence… Puis, une idée… La date est choisie, on organise le truc… puis, on confectionne l’invitation…

« L’apéro des voisins confinés. Bonjour… Nous sommes confinés, et ce n’est pas la période la plus amusante. Ce ne sera pas grand-chose… Mais si nous nous retrouvions sur la rue, devant notre porte pour partager un apéro avec les autres habitants de la rue ? Notre proposition : Demain, dimanche, à 11h45, vous déposez un verre vide (par personne de l’habitation qui souhaite partager l’apéro !) sur votre appui de fenêtre, avec un des sous-verres joints. Le sous-verre bleu pour un vin rouge, le sous-verre jaune pour un vin blanc, le sous-verre rose pour un pineau des Charentes, le sous-verre vert pour une bière et le sous-verre orange pour du jus d’orange. Nous passons les remplir avec le bon liquide ! À 12h, nous nous retrouvons devant nos portes et nous soulevons notre verre pour dire bonjour à nos voisins. À demain ! »


Et 18 boîtes aux lettres sont visitées.


11h45. Inquiétude… Pas de verres sur les appuis de fenêtre… Ah si ! Un verre là… et un autre par là-bas… Et encore d’autres qui sortent… La tournée peut commencer. Sur une vitre « Merci pour l’initiative… solidarité ». Certains vont frapper aux autres portes pour être certains que personne n’a oublié…

À midi, les verres sont servis… On les lève pour dire bonjour, pour dire tchin… On s’interpelle…

Certains qui ne sont pas en bonne santé, saluent et rentrent, le sourire aux lèvres, se réchauffer à l’intérieur. D’autres n’ont pas la chance de profiter du soleil… Le mauvais côté de la rue… et décident de quitter leur poste devant chez eux pour glisser jusqu’aux rayons plus chauds… Une petite sono est de sortie… l’ambiance est bonne. On se rapproche un peu… en restant vigilants aux consignes de distanciation sociale, comme ils disent à la télé. On prend des nouvelles, on se moque un peu de ceux qui ont incendié l’idée la veille sur les réseaux sociaux…

On prend aussi les paris… la police, avertie par ces commérages sur Facebook va passer. Et c’est le cas… On prépare donc la retraite vers son chez soi. Mais la voiture passe avec deux policiers aux sourires bienveillants… Les (très très) gentils fêtards sont un peu étonnés, mais entendent profiter quelques minutes encore et très raisonnablement de cette liberté…

Une seconde voiture de police… On se sent surveillés. Ça ne fait pas 20 minutes que l’apéro est servi… Mais ce sont deux policières avec un même sourire sympathique qui passent, la passagère poussant même le clin d’œil jusqu’à soulever sa canette light pour trinquer aussi… La troisième voiture sera fatale… Ce sont deux représentants de l’ordre (et rien que de l’ordre) qui sont à l’intérieur, et qui renvoient chacun chez soi… On se salue gaiement… En se disant que la semaine prochaine… En se disant qu’après ce foutu virus…

Les jours qui suivent, au hasard de l’une ou l’autre rare rencontre dans la rue, les mots fusent… « Et merci pour dimanche »… C’était vraiment pas grand-chose… ça n’a pas duré longtemps… mais quelque chose a changé dans la rue…


La vie a posé son pied sur cette crasse et lui a fait son affaire…



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