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Photo du rédacteurLéa Evey

Nommer l'essentiel

Un texte de Viviane-Tâm Laroy Le virus, encore obscure, que nous pouvons nommer pour qu’il ne nous dépasse pas ou ne déclenche pas des sentiments tout aussi sombres, le COVID-19, le coronavirus. Certains disent qu’il s’agit d’une grosse grippe qui finit par attaquer les poumons de manière irréversible, tous les organes vitaux, ou encore, provoque des engelures aux pieds pourtant réservées aux grands froids. Un virus n’est pas une bactérie, ni une infection, c’est un virus et est à la cause d’une épidémie, une pandémie même.


Les mesures que nous vivons sont exceptionnelles alors que son taux de contagion ne l’est pas vraiment. Nous avons peur de l’attraper et de perdre ceux et celles qui nous sont chers. Nous nous isolons, nous les enfermons aussi. Vous préférerez peut-être le mot « confiner ».


Alors, nous confinons certaines personnes âgées dans les maisons de soins et de repos. Nous faisons comme le Petit Prince qui met sa rose si précieuse sous une cloche pour la protéger. Dans ce conte pour enfant, elle fait la coquette pour préserver sa magie, celle qui a donné sa valeur aux yeux du Petit Prince. Et pourtant, ce n’est cette coquetterie, nous l’espérons, qui l’a rendue essentielle.


L’essentielle parmi les autres roses, le vrai par rapport au superfétatoire, c’est ce qu’une telle crise est supposée révélée en nous, voire de manière collective, comme l’amour que nous portons à nos aînés, à nos enfants aussi.


C’est beau, l’amour. Certains couples se formeront, d’autres se distancieront lors de cette période particulière. Des amitiés se consolideront, de l’affection apparaîtra, toutes ces petites choses souvent invisibles qui donnent valeur à nos vies individuelles et collectives, en famille, entre collègues, entre voisins, entre amis.

Et puis vient ce qui est institutionnalisé comme essentiel par les différents pouvoirs qui traversent nos sociétés contemporaines. Cet essentiel nous sert de règles de vivre-ensemble, c’est le jeu. La médecine nous dira de ne pas mourir et de tenter de ne pas tomber malade, c’est la distanciation sanitaire. Certaines religions nous diront que cette maladie ne s’abat que sur les mécréants et est le résultat de notre vie dissipée, c’est la prière, l’adoubement et la culpabilité. J’en passe des essentiels qui sont parfois moins évidents que ces exemples.


Et puis, petit à petit, nous découvrons ce que sont ces essentiels qui devraient l’être pour nous, nous qui sommes gouvernés par un pouvoir politique élu au suffrage universel.

Au coup par coup, nous avons subi la distanciation sociale qui surfe sur la vague du sanitaire et du sécuritaire : l’homme est un loup pour l’homme. Alors qu’il s’agit d’une distance de réduction de contagion. Pourquoi avoir utilisé une sémantique qui ramène aux côtés les plus sombres de l’humain ?


Les commerces ont dû fermer sauf ceux considérés comme essentiels, comme les pharmacies et les commerces alimentaires. Ils remplissent des services essentiels : ils ne sont pas que des échanges de monnaie. Ceux-ci sont liés à la survie et aux soins, des besoins considérés comme de premiers ordres.


Une distinction commence dès lors à se faire entre les travailleurs : ceux et celles qui n’ont pas besoin de travailler pour survivre, ceux et celles dont nous n’avons pas besoin pour survivre et ceux et celles qui sont utiles, gratuitement, voire même invisibles. C’est parti pour les jugements de valeurs et le retour des vieux démons. Que ce soient les métiers occupés majoritairement par des femmes, ou d’autres considérés comme n’étant pas assez intellectuels, tout aussi mal payés, ceux-là qui continuent bon gré mal gré. Ils sont essentiels. Ils sont essentiellement mal payés et, par conséquent, essentiellement pas reconnus comme essentiels.


Nous assistons de manière progressive à l’ouverture de commerces et à la fourniture de services par les instances politiques : les magasins de bricolage, les pépinières, les drive-in des Mac Donald, les magasins de tissu et les merceries.


C’en est fini de ces essentiels qui sont invisibles et pourtant nécessaires. C’en est fini de l’amour, des sentiments et des émotions déjà réduite à nos parts sombres par la sémantique utilisée (distance sociale, sanitaire et de sécurité).


Le monde n’est pas fait que d’invisible ni que de visible, c’est sûr mais lorsque le pouvoir politique ne rend essentiel que du visible, que dit-il de nous ? Que l’amour et la poésie sont de l’ordre du privé et que nous avons tous droit en tant de crise à un burger de fast-food ? Quelque part, ce visible ne nous déshumanise-t-il pas complètement ?


Confiné, est un terme bien doux pour ce qui nous arrive de gré ou de force.


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