La lecture des récents sondages interroge : comment expliquer que les partis ressentis comme les plus extrémistes caracolent en tête et semblent définitivement être au cœur des préoccupations des Belges ?
Qu’ont-ils en commun, ces partis ? Un récit « sociétal » fort. Il y a pour chacun un ennemi clairement identifié et par ricochet, une « communauté de gens bien » qui engage la lutte.
« C’est connu », diront les observateurs politiques. Oui, ça l’est. A l’envi. Mais pas à l’envie. Probablement, parce que ces partis tiennent des propos outrageusement clivants, voire hors la loi, il ne viendrait à l’idée de personnes de vouloir les copier. Or, il importe de distinguer clairement leur extrémisme de leur radicalité (du latin : « radix », « racine »). Ces partis travaillent clairement autour du « pourquoi », pourquoi voter pour eux : la racine de leur lutte, la racine de leur raison d’être. C’est un positionnement radical avant d’être une politique extrémiste. Ils mettent ainsi en pratique une recommandation marketing courante : favoriser le « pourquoi », ce qu’ils apportent au monde, et non pas le « comment » (par quel type de gouvernance ou avec quels ajustements budgétaires) ou le « quoi » (quelle mesure, à quel niveau de pouvoir).
C’est peut-être cette absence de radicalité qui explique que les partis « traditionnels » dégringolent et n’arrivent plus à « percoler » suffisamment : ils n’expriment pas (ou plus) la racine de leur existence, le fil qui sous-tend toutes leurs actions. Or, il peut exister des « radicalité » qui soient démocrates. Par exemple, en cette période de Covid, on pourrait imaginer un récit autour de la primeur de la valeur de la vie humaine pour déterminer les choix de société : du financement de la politique de soins comme absolue priorité, en passant par la prévention en matière d’alimentation, les actions concrètes et sans tergiversations autour de la pollution, le financement de la recherche fondamentale, l’aide et les soins aux personnes en risques psycho-sociaux, le refus des morts de violence conjugale ou de maltraitance, accrus en cas d’isolement...
Il y a un boulevard pour un récit qui permettrait aux Belges de trouver, si pas un sens à cette crise, au moins un sens à ce qui leur est demandé. Pourquoi cela n’émerge pas ? Peut-être à cause de quelques maladies de la politique belge…
Le culte de l’immédiateté, qui fait que l’on réagit à tout, tout le temps, en privilégiant la critique du « comment » et du « quoi » plutôt qu’en tentant de construire une vision à long terme. Ces minutes de visibilité qui donnent l’impression d’être reconnu – mais quel citoyen embraye encore à des diatribes ou ce verbiage ? N’y a-t-il pas là quelque chose de convenu qui ne fonctionne plus ? Peut-être pire : qui entretient les désillusions des citoyens sur le monde politique ? Ce « brouhaha » ne donne-t-il pas le sentiment qu’il n’y a que des positionnements, pas de solutions, pas de vision ?
En filigrane se pose aussi le mythe du débat citoyen, du poids que l’on vient faire peser sur leurs épaules. Or, si les élus – qui sont des citoyens – n’arrivent pas à esquisser des solutions, pourquoi des citoyens non élus y arriveraient ? Parce qu’ils sont hors particratie ? Parce qu’ils sont du coup libres de penser, d’interroger ? Ne faut-il pas alors plutôt s’atteler à « libérer » nos élus et à les rendre libres de leurs votes en toutes circonstances, et pas uniquement sur les questions éthiques ? Les partis ne doivent-ils pas réinventer non pas tant leur gouvernance que leurs raisons d’être ? Et interroger notre modèle basé sur la nécessité de coalitions avec d’autres partis, qui implique de facto de ménager son adversaire (qui sera peut-être un partenaire) … et de renoncer à toute radicalité ?
Les partis ont-ils quelque chose à gagner à radicaliser leurs positions ? Oui, sûrement plus que d’implorer la participation citoyenne ou les changements des règles du jeu interne. Ils offriraient ainsi une vision claire de leurs projets, et de leur raison d’être, et permettrait aux citoyens de retrouver une forme de confiance en la chose politique : celle d’être un phare vers un idéal. Bien sûr, il n’est pas d’idéal partagé par tous. Mais cela aussi est une leçon : un parti qui cherche à représenter tout le monde… finit par ne plus représenter qui que soit.
L’avenir proche devrait apporter une réponse claire : l’éclatement du paysage politique, les poids lourds rattrapés, le taux de vote blanc ou d’absentéisme, vont nécessiter un sursaut, ne serait-ce que par cynisme : gagner la place de parti pivot… ou de leader. Si les partis traditionnels continuent à éthérer leur propos, s’ils renoncent à une compétition partisane, au sens noble, ils vont s’exclure du jeu, et laisser de facto la place à d’autres partis… radicaux et peut-être extrémistes, qui finiront par les remplacer. L’exemple du marketing et des marques est à cet exemple une leçon : le jour où l’on renonce à communiquer sur un projet fort, en phase avec son époque, on disparait, dépassé par ses concurrents et oubliés par ses consommateurs.
L’analyse des votes « extrêmes » interroge. Une réponse est peut-être à trouver sur ce qui est donné aux citoyens, plutôt que du côté de ce qu’ils sembleraient vouloir.
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